La Pop Music ou l’art de cultiver des fans

Image de concert

« T’écoutes quoi comme musique ? » À une question réclamant un quoi, nous aurions tendance à répondre un qui. Les Beatles, Angèle ou BTS sont autant de noms prouvant l’importance des personnes derrière les musiques. En plus d’apprécier leurs chansons, nous devenons des fans. Nombreux sont ceux qui dépensent des sommes colossales pour aller voir leur idole, pour s’investir physiquement dans leur musique et pourquoi pas toucher leur main pour les plus hardcore. Le concert est la plus belle illustration de ce besoin : écouter des chansons connues mais face à son interprète, en chair et en os. Un artiste qui n’existe pas pour son public a, de nos jours, du mal à être accessible. Plus encore, dévoiler certains détails de sa vie permet aux public et aux fans de saisir avec plus de clairvoyance certains sens cachés dans les textes des chansons. Taylor Swift en a fait sa marque de fabrique et, résignée à voir sa vie étalée sans son consentement dans la presse à scandale, s’est mise à disséminer des indices dans ses paroles. C’est après au tour de ses fans de découvrir duquel de ses nombreux british boyfriends le morceau fait référence. Ce lien étroit entre vie privée, œuvre et public génère des réactions parfois extrêmes. Du simple fan amateur de merch au radical voyeuriste, la ligne est poreuse. Mais ces consommateurs sont-ils victimes d’eux même ou d’une industrie fabricante de fantasmes?

GIF de Taylor Swift qui hurle de frustration sur un plateau télé

Ces artistes sont aussi et surtout la représentation des fantasmes de l’époque avec des critères de beauté très normés. Le mode de vie et l’apparence de ces stars sont étalés et commentés dans la presse ainsi que sur les réseaux sociaux et s’érigent en véritables modèles à suivre. Du look à petit prix dicté par des rubriques de la presse féminine expliquant «Comment s’habiller comme Billie Eilish ou Céline Dion sans se ruiner », aux régimes draconiens, tout semble bon pour imposer le dictate du healthy lifestyle aux ados et aux adultes. En Corée, des fans de groupes féminins de Kpop se sont infligées des régimes drastiques, quitte à tomber dans les pommes voire dans l’anorexie dans le simple but de leur ressembler. Tout le marketing autour de l’apparence de ces chanteur.se.s crée des hordes d’adolescent.e.s grandissant dans l’intime conviction qu’une morpho en X doit être la norme. L’admiration force l’identification et c’est en ça que la fan culture peut devenir un véritable problème. Mais au-delà du modèle d’apparence, ces stars représentent également un modèle de désir. L’industrie en fait des fantasmes. 

Archétypes et groupies, un cliché gagnant

On le sait. L’industrie musicale a fabriqué une culture de la groupie. On nous a fait croire que seules les femmes avaient le droit d’être des fans. La jeune fille hystérique pleurant face à son idole, s’évanouissant même suite à un eye contact imaginaire entre elle et l’objet de son admiration est devenue une image normée. On en vient à penser que seule les filles et les femmes sont fans, comme si elles possédaient un gène que les autres n’ont pas. Même en étant plus âgée, le piège est si parfait qu’on y tombe à chaque fois. Les agences font de leurs artistes des personnages de jeux vidéo, des fantasmes très diversifiés pour toucher le plus de fans possible. Nous en avons pour tous les goûts: le ténébreux, le mignon, le sérieux, le papa-poule du groupe ou encore le « weirdo ». Mais aussi primaires que ces termes puissent paraître, ils sont des dérivés des archétypes de Carl Jung. Les agences derrière les artistes ont pensé à tout ! « Choose your character » ou le concept du bias – son membre préféré dans un groupe- , s’impose à chaque fan : sur les plusieurs membres que compte le band, l’un.e d’entre elles.eux va forcément sortir du lot et toucher votre petit cœur. À partir du moment où crush il y a, addiction s’en suivra. 

GIF du groupe BTS exultant de joie

Le ship: largay les amarres !!

Et quoi de mieux que de voir ses deux membres préférés proposer un fan service agressif pour satisfaire ses admirateur.trice.s? C’est à ce moment que le concept du ship entre en jeu. Les fans fantasment sur des supposées relations amoureuses ou sexuelles entre deux membres d’un même groupe ou de deux groupes différents. Ces ship impliquent la plupart du temps deux personnes du même genre. Cette pratique, très répandue dans la Kpop, n’est pas sans rappeler le yaoi les mangas érotiques gay japonais ! Cette pratique permet de créer une distance entre les artistes – ou les personnages dans le cadre du yaoi – et elles, qui sont la plupart du temps hétérosexuelles, tout en continuant de fantasmer sur eux. Ces fans passent au crible la moindre interaction entre ces artistes et affabulent ce qu’elles pensent être des preuves irréfutables de l’existence du couple. Après tout, ils sont célibataires, non ? Ces fantasmes ne cessent d’être nourri et encouragé à être nourri car les chanteur.se.s coréen.nes ne peuvent pas se mettre en couple sous peine de recevoir un raz-de-marée d’insultes. La magie disparaît, la trahison se fait ressentir et des drames allant jusqu’au suicide se multiplient. Si le fantasme devient une réalité, c’est – souvent – la catastrophe assurée. Mais face à ces « mini-scandales » mettant en jeu la liberté fondamentale d’humain.e.s – rappelons-le – le fandom sait majoritairement se réjouir pour ses stars préférées. Cette famille, réunie sous le même étendard coloré, soutiendra (presque) toujours son artiste. 

GIF du groupe One Direction qui danse

Aux Etats-Unis, même combat. La pratique du ship a eu son lot de spéculations. Aujourd’hui encore, une communauté d’irréductibles romantiques appelée les Larries reste persuadée que deux des membres du boys band One Direction, Harry Styles et Louis Tomlinson, ont eu une relation amoureuse très forte. Cette théorie, nourrie par des centaines de montages vidéos, d’analyses de clips et de textes de chansons, n’a pas été confirmée par les deux artistes. 

Fandom aux oeufs d’or

Les agences et autres maisons de disques ont bien conscience de cette industrie de l’amour autant factice qu’inconditionnel. Pour entretenir ce brasier ardent, un féroce merchandising se met en place. Dans la Kpop, il a beau ne pas être le plus subtil, il n’en reste pas moins le plus efficace : goodies, albums, lightsticks, vêtements un tantinet kitsch floqués aux couleurs du groupe… Les trucs et astuces pour faire dépenser des sommes inconsidérées aux fans sont nombreux. Et lorsque les agences jouent avec cette part irrationnelle qui fait d’une simple personne un.e fan, elles décrochent le gros lot. Lors d’un concert, vous pourrez vous procurer pour la modique somme de 30 euros un lightstick inédit aux couleurs de son groupe. Le marketing autour du bias fait également mouche: les pochettes d’albums deviennent des boosters lorsqu’on y intègre des photocards inédits et parfois rares. Ces cartes collectors à l’effigie des membres du groupe, glissées aléatoirement dans les pochettes, sont échangées comme des billes ou des cartes Pokémon. Aussi fou et barbare que cela puisse paraître, ce merch pugnace fonctionne. Les fans dépensent et les agences font décoller le chiffre d’affaires annuel.

Addiction, crime et botanique

Si la majorité des fans témoignent leur amour pour un artiste ou un groupe d’artistes en dépensant des sommes astronomiques, certains poussent l’investissement personnel encore plus loin. De la plantation d’une forêt de milliers d’arbres à Séoul pour l’anniversaire d’un des membres de BTS à l’agression physique, les témoignages d’affections sont parfois déroutants. Sordide mais vrai, un jeune japonais est parvenu à retrouver l’adresse d’une chanteuse de pop japonaise grâce au reflet de son œil sur un selfie. Une fois sur place, il a tout bonnement agressé la jeune femme. Le plus fou c’est que cet homme était un fan de la chanteuse. Cette industrie de l’obsession a ses vices. Inquantifiables sont les histoires frissonnantes mêlant fans dérangés et artistes. Les risques du métier ? meh.

Texte : Lauriane Haumont et Joséphine Lemercier

Edition : Noémie Keller

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